9 Mai 2023
Yeehaa ! Nous sommes chez les Ricains. Comment se fait-il ? Eh bien les Iles Vierges Américaines, comme leur nom l'indique, font partie des États Unis d'Amérique.
Quittant les BVI ce jeudi 4 Mai, nous naviguons trois petites heures entre les îles Jost Van Dyke (Britannique) et Saint Thomas (Américaine), parmi de nombreux îlots qui peuvent bien appartenir à l'un ou l'autre des pays, on s'en fiche. Je me demande qui a décidé le tracé de cette frontière, tellement les îles sont proches et ressemblantes.
Ressemblantes, oui, pour le relief et la (rare) végétation. Mais Saint Thomas est densément urbanisée, ça se voit de loin. Il y a des maisons jusqu'en haut des collines. Le long des côtes encore plus... J'observe tout ça d'un œil curieux, sans prêter trop d'attention à notre trajet. Devant nous, pourtant, je vois beaucoup de cailloux et je m'informe : par où veux-tu nous faire passer, Cap'tain ? Eh bien, dans ce petit goulet à gauche, on va laisser les cailloux du milieu sur tribord. Oh oh, mais ça ne me parait pas bien large, ça ! Il est vrai qu'on en a vu d'autres au Pays de Galles ou en Écosse, mais quand même... Et puis le bleu de l'eau devient de plus en plus turquoise là devant, pour une fois ça ne me ravit pas, d'autant que nous n'avons pas de sondeur en état de marche. Mais non, arrête de stresser, me tance mon capitaine, sûr de ses cartes et de son choix. Comme de bien entendu, quand nous atteignons le passage le plus étroit, le vent nous fait une blague et le génois faseye. Ouh, j'ai peur ! Par précaution, Éric démarre le moteur, et il aura beau dire, une fois le passage franchi, que tout était sous contrôle, il a quand même dû pousser un peu les gaz pour faciliter les choses. Je dis ça, hein, je dis rien, c'est pas moi le capitaine.
Charlotte Amalie, la capitale des Iles Vierges Américaines, est une grande ville qui s'étale au fond d'une baie bien fermée par des îles. Normalement le mouillage devrait être tranquille mais nous avons lu des avis disant le contraire. Nous avons toujours une petite idée de ce qui nous attend avant d'arriver quelque part car les renseignements ne manquent pas sur les forums de navigation ou autres sources de bouche-à-oreille. Nous n'espérons aucun coup de foudre en arrivant ici mais c'est une étape indispensable pour faire l'entrée : nos prochaines escales relèvent toutes des USA. Pourtant, en entrant dans la baie, ça ne nous parait pas si moche. Les voiliers qui sont mouillés là ne sont pas des catamarans, du moins pas en majorité, et il y a suffisamment de place pour mouiller l'ancre parmi eux, pas très loin du quai des annexes. Ce qu'on aperçoit de la ville, ma foi, c'est une ville ! Il y a du trafic, des constructions, des hydravions ? Ah ça pour le coup c'est original ! Enfin pas de quoi être dégoûté à première vue.
Nous n'avons pas encore mis le pied à terre qu'un énoooorme paquebot vient s'installer le long du quai en face de nous. Nous ne sommes pas proches à le toucher, non, mais enfin on peut distinguer les passagers à leur balcon. Ça va faire du touriste dans les rues, ça ! En ce qui nous concerne, nous nous mettons en quête de la douane. Nous débarquons sur le ponton de "Yacht Haven Grande", un ensemble de commerces et bars à destination des passagers des paquebots, donc chic et plutôt joli à voir. Bien qu'il y ait un bureau "Customs" juste devant le ponton, il faut aller faire les formalités au bureau principal qui se trouve à une demi-heure de marche. Nous aimons bien marcher, mais là, on va crever de chaud. Ai-je dit qu'il faisait chaud ? Le thermomètre dépasse les 32° à l'ombre dans le carré, et ne descend pas en-dessous de 30° la nuit, sans un souffle d'air pour nous rafraîchir. C'est un peu dur, même si nous sommes acclimatés. Aussi la perspective de griller 30 minutes en plein soleil nous fait-elle tiquer.
Ah mais, qu'est-ce que c'est que ce mini-bus ouvert aux quatre vents ? Un transport pour les passagers du paquebot en excursion ? Nous le croyons d'abord, et puis non, il y a des gens "normaux" qui y montent, alors pourquoi pas nous ? Nous ne savons même pas trop où nous allons, mais le chauffeur semble nous comprendre et nous comprenons qu'il va nous déposer à la douane. En route ! Le véhicule ressemble à un gros pick-up, les passagers sont installés dans une sorte de caisse ouverte des deux côtés. Cependant, par mesure de sécurité, on ne peut pas monter ni descendre du côté droit. Eh mais au fait, en voilà une anomalie ? On roule à gauche ici, comme dans les pays anglo-saxons, alors que le volant est à gauche comme en Europe. Curieux ! Nous sommes assis sur des banquettes pour 5 personnes (à Carriacou on en aurait mis 8). Il faut se faire des politesses quand quelqu'un du milieu de la rangée veut sortir. Il suffit d'observer les autres voyageurs pour comprendre les usages. Ici il y a une sonnette pour demander l'arrêt, beaucoup plus sophistiqué que dans les îles précédentes. Et on va payer la course en sortant, comme partout ailleurs. 1 $ par personne, pas cher ! Mais c'était un petit trajet.
À la douane, comme d'habitude, ce n'est pas simple. Il faut remplir des formulaires, mais quand on les rend il y a toujours un détail qui cloche. Soit nous sommes stupides, soit leurs questionnaires sont mal fichus. La préposée n'est pas vraiment désagréable, elle a juste l'air lassée de nous expliquer ce que nous aurions dû comprendre tout seuls. Ensuite elle nous dit de sortir et d'aller l'attendre dehors, à une autre porte, que nous ne trouvons pas... Finalement c'est elle qui nous retrouve et là, quand même, elle daigne rigoler de ce que nous ayons pu nous égarer sur 50 m. Allons, la voilà mieux disposée à notre égard. Elle passe le relais à sa collègue de l'immigration, qui examine nos passeports ornés de nos magnifiques visas, nous prend en photo, prend nos empreintes digitales... et déclare que tout est OK ! Ouf, nous avons maintenant officiellement le droit de séjourner dans n'importe quel lieu états-unien pendant 6 mois. Nous n'y resterons pas si longtemps cette année !
Pour revenir au bateau, nous décidons de parcourir quelques rues afin de voir à quoi ressemble cette ville. En parallèle de la quatre-voies qui longe le littoral, une rue piétonne de style hispanique (pour autant que je sois capable de le reconnaître) présente une succession de boutiques pour les touristes. Il y a là quelques magasins de mode, mais surtout des bijoutiers-joailliers dont les vitrines annoncent toutes "Diamonds". Les portes sont ouvertes sur la rue et comme la climatisation tourne à fond, le trottoir est pour ainsi dire climatisé... Quelle honte ! Des vendeurs nous accostent au passage pour que nous venions admirer leurs bijoux. Bon, c'est sûr, ils nous prennent pour des passagers du paquebot, mais enfin, qu'est-ce que c'est que ce commerce ? Comme si on achetait une Rolex en faisant son shopping de tourisme. Tiens, ma chérie, n'aurais-tu pas envie de quelques diamants aujourd'hui ? Ah mais si, pourquoi pas ? Dans quel monde vivons-nous...
Par ailleurs, la ville semble ordinaire. Le luxe s'arrête à la fin de la rue des bijoutiers. Un petit food-truck ici, un clochard par-là. Et pas d'habitations d'ailleurs, elles sont certainement en périphérie, c'est tout à fait américain. Nous finissons notre trajet vers la marina sans réussir à comprendre comment fonctionnent les passages-piétons : aux feux, le signal nous interdit toujours de passer. On finit par se lancer quand on pense avoir le temps de traverser, comme des bons français indisciplinés.
Vendredi nous partons du bateau bien décidés à régler deux corvées : la lessive et la téléphonie. Pour le linge ça se passe plutôt facilement ; une fois qu'on a trouvé la laverie, un peu plus exotique que d'autres celle-ci, c'est simple. Deux grosses machines de 15 kg (selon mon estimation) pour 13,50 $, c'est bon marché. J'accompagne Éric jusqu'à la boutique Liberty, où il y a autant de queue que chez Orange un jour d'affluence, et je retourne à mes machines : il en aura pour plus longtemps que moi. Mais non, en fait, il me rejoint alors que je me débats avec un employé de la laverie qui veut à toute force me plier mon linge, alors que je sais faire ça moi-même, enfin ! Mais le type ne lâche pas l'affaire, il veut avoir son pourboire et c'est moi qui finis par lui lâcher les draps et les taies d'oreiller qu'il plie en tout petits paquets bien serrés. Bon, OK, je ferai avec. Mais c'est moi qui plie mes robes et mes culottes, non mais.
De son côté, Éric ne rigole pas, ça s'est moins bien passé avec le téléphone. On lui a vendu un forfait carte SIM et pack de data pour 45 $, en lui signalant tout de même que peut-être ça ne marcherait pas sur un smartphone étranger. Éric a pensé qu'il n'y avait aucune raison, une carte SIM c'est international. Pourtant, une fois la carte en place, il a constaté qu'effectivement il ne pouvait pas avoir accès à Internet. Quand ça ne marche pas, le commerçant vous rembourse, non ? Sauf que là, rien à faire, ils ont refusé tout net. Bien sûr, Éric a protesté, fait appeler le "superviser"mais ça n'a pas changé la donne. Il est reparti furieux, avec le mince espoir que peut-être la carte SIM fonctionnerait dans un autre téléphone mais ça ne sera pas le cas. Ah, il pourrait y avoir une solution, proposée par les vendeurs : acheter un téléphone chez eux. C'est ça, oui, et puis quoi encore ?
De retour à bord, Éric tripatouille son téléphone, le mien, le troisième qui nous sert encore mais menace de mourir bientôt... Et soudain il voit qu'il a reçu un message, lui signalant que "Free l'accompagne dans son séjour aux USA". Effectivement, il constate qu'il a bien un accès à Internet, d'où cela sort-il ? Pas de la carte SIM qu'il vient d'acheter, non, mais bien de son forfait français car Free, depuis quelques mois, a étendu son réseau et donne accès aux États-Unis. Vous ne pouviez pas le dire un peu plus tôt ? Généralement ce genre de messages tombe dès qu'on franchit la frontière, alors que nous sommes aux USVI depuis 24 h. Décidément avec Free on n'a pas tout compris. Mais si cette nouvelle inattendue persiste, nous aurons un accès internet jusqu'à notre départ pour Aruba.
Le ventilateur de notre cabine arrière a rendu l'âme. Ce n'est pas étonnant, c'était un ventilo chinois de quatre sous, qui faisait un bruit de tracteur, pas de regrets. Enfin si quand même, sans lui nous ne pouvons plus dormir dans notre lit, on étouffe. Depuis quelques nuits nous errons du cockpit au carré, nous avons même testé la cabine avant, à la recherche d'un souffle d'air qui ne vient pas. Samedi c'est donc la mission du jour, trouver un ventilateur 12 Volts. Nous explorons un K-Mart, sorte de supermarché fourre-tout, où on trouve autant des articles de camping que de la nourriture ou des vêtements. Mais les deux niveaux de ce bazar américain (qui ressemble fort à un bazar chinois) ne contiennent pas de ventilateur 12V. Il va falloir chercher dans les magasins de pièces pour voitures automobiles, on aura peut-être plus de chances. Google Map nous indique une zone commerciale importante à quelques kilomètres, nous cherchons quel bus pourrait nous y emmener. Je m'adresse à une dame sur le trottoir pour lui demander des renseignements. Je l'accoste avec un "Excuse me Madam..." que je trouve très poli, mais elle me coupe le sifflet sèchement avec une leçon de politesse inattendue. Il faut commencer par "Good morning" et puis c'est tout. Je fais amende honorable, cherchant une excuse dans le fait que je suis française, alors elle se radoucit, nous sort les quelques mots de français qu'elle connaît et pour lesquels je ne ménage pas mes compliments ! Après quoi, charmante, elle nous explique tout ce qu'on a besoin de savoir pour nous rendre au Mall recherché. Nous apprenons au passage que les minibus s'appellent ici des "safaris" ; je suppose qu'à Porto Rico ça sera plutôt des "guaguas", enfin on verra.
Notre expédition est un succès, nous revenons avec le ventilateur souhaité plus quelques provisions de frais pour les jours prochains. Éric se met au travail et nous allons désormais retrouver le confort de notre cabine bien ventilée. J'ai maintenant hâte de quitter Port Amalie, non pas que l'endroit soit désagréable mais je pense que nous avons fait le tour de ses charmes limités. Je voudrais qu'on fasse de l'eau tout de suite et qu'on parte se mouiller ailleurs. Mon capitaine n'est pas d'accord, il préfère remettre ça à demain matin.
Encore une fois, il a raison. L'opération d'approvisionnement en eau va prendre un certain temps. Nous appelons la marina à la VHF, dimanche matin, dès 8h. On nous met en attente... Il faut patienter plus d'une heure avant qu'on nous accorde l'autorisation de venir au quai 6, que nous avons quelque mal à trouver. Là, un employé consent (mais à peine) à prendre nos amarres ; puis il daigne nous désigner le robinet où Éric doit brancher son propre tuyau, là encore sans le moindre coup de main. Je lui demande si la porte au bout du ponton est verrouillée car je souhaite aller retirer des espèces avant notre départ. Il marmonne un discours confus (du moins pour moi) d'où il ressort que je n'ai pas le droit d'aller dans la marina, et que si je le fais il va me facturer un droit de sortie !? Je ne comprends pas... Il ajoute que si lui m'escorte jusqu'au distributeur de billets, dans sa voiturette électrique, je serai en règle et n'aurai rien à payer. Quel truc de fous ! J'accepte et me voilà donc conduite comme une princesse devant le guichet ATM, à 200m du ponton. Pas moyen de faire la moindre causette avec mon chauffeur, qui reste muet. Décidément, on ne peut pas dire que les gens, ici, débordent de sympathie. Timidité ? Rejet des étrangers que nous sommes ? Indifférence totale ? Nous ne le saurons pas, mais vraiment ça fait bizarre de ne pas pouvoir échanger davantage avec les gens, alors qu'en principe nous ne sommes pas bloqués par la barrière de la langue. Comment est-ce que ça va être à Porto Rico, où les habitants préfèrent s'exprimer en espagnol ?
Pour le moment, nous allons chercher la solitude d'un mouillage de rêve. Il ne faut que trois heures de navigation pour atteindre Culebrita, la petite sœur de Culebra, île Vierge dite espagnole qui fait partie de l'archipel de Porto Rico. Dans la Baie Tortuga, la plage de rêve est bien au rendez-vous, mais pas la solitude. Sur toute la largeur de la baie, une bonne trentaine de bateaux à moteur sont mouillés sur deux ancres, étrave vers le large et arrière vers la plage. Plusieurs sont arrimés bord à bord ; il y a de petites embarcations de promenade et des yachts plus imposants. Sur la plage, parasols et chaises-longues, musique latino relativement forte; dans l'eau, planches de surf ou de paddle, certaines motorisées, eh oui ! C'est dimanche et tous ces gens sont venus passer la journée ou peut-être le week-end à la plage. Nous ne sommes pas le seul voilier mouillé ici, il y en avait trois avant nous et deux arrivent après. Ce n'est pas encore la foule ! Nous profitons d'une baignade autour du bateau, l'eau est claire et bonne.
Vers 16h, quelques bateaux à moteur commencent à quitter les lieux. Ils doivent rentrer à Culebra ou à Porto Rico, qui se trouve à une vingtaine de milles soit une heure de route pour ces moteurs puissants. À la tombée du jour il n'en reste plus que huit qui prolongent leur séjour, sans aucun bruit. Le phare qui domine la baie ne fonctionne plus, mais il y a un feu qui s'allume juste à côté de lui. La nuit va être tranquille.
Au petit matin, clair et encore frais, la plage semble très attirante. Nous allons à terre à la voile et posons notre annexe sur le sable. Une promenade jusqu'au vieux phare s'impose ; petit sentier assez souvent ombragé par de petits arbres de la famille des acacias si on en juge par leurs épines. Au sommet de la colline, le phare est en grand danger de s'écrouler, il a déjà perdu beaucoup de briques d'entourage des ouvertures. C'est un bâtiment imposant et qui a dû être très beau, certaines pièces possèdent encore un carrelage de marbre. Nous découvrons une vue superbe de Culebrita et de Culebra toute proche. C'est là que nous irons demain. Nous reprenons l'annexe, à la rame cette fois, vers une pointe de la baie où la mer malmène quelques rochers. Éric manie habilement son embarcation entre les cailloux et nous arrivons, poussés par quelques vagues, sur une minuscule plage de sable. Les mouettes rieuses qui nichent juste à côté nous insultent copieusement mais restent à distance. Nous marchons entre les rochers qui forment des bassins peu profonds où l'eau est chaude et cristalline. Si on s'y tient immobile quelques minutes, on peut voir arriver des petits poissons peu farouches, ou très curieux, qui reprennent leurs petites habitudes comme si nous n'étions pas là. Je pense que ce sont des juvéniles, ils sont jolis et variés mais tous de très petite taille.
Après le déjeuner et la sieste, nous allons faire un peu de snorkelling. Près du rivage, les fonds rocheux présentent des coraux qui semblent en meilleur état que tous ceux que nous avons vus ces derniers mois. Les poissons sont nombreux et colorés. Je ne peux pas en faire la liste, je dirais des bêtises. Il faut absolument que nous achetions un livre qui nous permette d'identifier toutes ces espèces, au moins les principales, avec un peu plus d'assurance. L'eau est très chaude, nous réussissons à rester un bon petit moment. Ce n'est pas étonnant, elle doit faire dans les 29 à 30°...
Malgré tout, cette baie Tortuga ne tient pas toutes ses promesses : la petite houle de Nord-Est qui y rentre nous fait rouler de façon désagréable pendant la nuit, alors que cette fois nous sommes presque seuls au monde, il n'y a plus qu'un seul voilier avec nous. Mardi matin nous levons l'ancre et prenons la direction de Culebra. C'est si proche que nous ne remontons même pas l'annexe à bord, elle va nous suivre gentiment.