29 Février 2024
Une courte escale et une brève traversée, ça peut se raconter en un seul article ! Notre halte à La Cruz ne nous déplait pas du tout, mais elle ne nous enchante pas au point de dédaigner le temps favorable qui se présente samedi 24. Arrivés le mardi 20 en début d'après-midi, nous profitons donc de La Cruz pendant trois jours et demi, ce qui suffit à notre bonheur.
Bien sûr, le jour de notre arrivée nous ne faisons pas grand-chose. Comme d'habitude, nous étudions la qualité du mouillage : quand la brise souffle du large, une grosse houle entre dans la baie et tous les bateaux surfent dessus, ce qui sollicite beaucoup la chaîne et l'ancre. Tout le monde tient bien ; c'est rassurant. Les Américains ont des goûts différents des Européens : sur la bonne cinquantaine de voiliers au mouillage, il n'y a que trois catamarans ! Les monocoques sont pratiquement tous des bateaux classiques, étrave et arrière aux lignes fines, parfois la poupe est de style norvégien (arrondie). On peut dire que ce sont de jolis bateaux, du moins à notre goût, et Alkinoos est conforme à ces canons de beauté nautique.
Mercredi matin nous nous préoccupons du plein de gasoil (c'est le cas à chaque escale en ce moment, ça nous fait bizarre). On appelle la marina à la VHF et après quelques difficultés nous obtenons l'autorisation de nous rendre au ponton du carburant. La manœuvre est d'autant plus simple que le matin il n'y a pas de vent pour la contrarier. Par contre ici on applique une taxe (pour l'usage du ponton, aussi bref soit-il) et ça augmente le prix du litre de gasoil. En général il coûte 26 Pesos le litre (soit environ 1,40 €), là ça nous revient à 30 Pesos. Naviguer à la voile, c'est plus économique...
Jeudi nous allons à terre avec notre annexe, et une très légère brise nous permet d'atteindre le ponton des dinghies sans moteur ni rames... mais pas sans étonner les catamarans qui sortent promener les touristes en mer ! Ils n'ont jamais vu ça, une annexe à voile ! Dans la marina nous retrouvons nos amis Anna et Joakim, qui ont loué une voiture pour le séjour de leurs enfants, et qui s'en vont d'ailleurs les chercher à l'aéroport de Puerto Vallarta. Ils nous proposent de nous déposer à un centre commercial éloigné du centre, c'est sur leur route. Nous acceptons avec plaisir, car la petite ville de La Cruz ne semble pas disposer de supermarché. Les rues du centre ne sont pas aussi jolies que celles de Zihuanatejo, mais on sent que c'est tout de même un quartier aseptisé par la fréquentation touristique. Dès qu'on atteint la quatre-voies, c'est un paysage urbain plutôt ingrat que nous découvrons : bâtiments disparates, mal finis, boutiques improbables (quincaillerie ? bazar ? mécanique ?) et bas-côtés passablement jonchés de détritus, tout ça dans la poussière des routes adjacentes qui ne sont pas toutes bitumées. Bien sûr, le centre commercial est aux normes américaines, ou européennes : parkings autour des grandes surfaces, grands magasins climatisés tels qu'on en voit partout... Nous faisons un ravitaillement sans difficultés puis, chargés de nos sacs, nous prenons un taxi pour rentrer à la marina. Cependant Éric voudrait bien remplacer la durite qui fuit et il doit y avoir moyen de trouver ça dans les environs. Le chauffeur comprend ce que nous cherchons et il met beaucoup de bonne volonté pour que nous le trouvions. Il nous emmène à une boutique, sans succès, puis à une autre, toujours accompagnant Éric pour lui venir en aide s'il n'arrive pas à se faire comprendre. Il faudra faire le tour de cinq endroits différents (et pittoresques !) pour enfin trouver la pièce adéquate. Pendant que les hommes discutent, depuis la voiture je peux observer à loisir les gens du cru vaquer à leurs occupations. Il faut dire que nous sommes dans une zone d'activité importante qui mêle petites entreprises, boutiques, friches, sans oublier de petites gargotes et des marchands de fruits ou légumes dans leur camion. Je vois passer de jeunes collégiennes qui rentrent chez elles à pied, vêtues de l'uniforme de leur école, de jeunes mères portant leur petit dans les bras, des femmes plus âgées se protégeant du soleil sous un parapluie, et aussi, oui, quelques hommes coiffés d'un sombrero ! Sachant que le sombrero ici c'est simplement un chapeau, il n'a pas les dimensions de la coiffure folklorique, mais tout de même une certaine couleur locale. Ajoutons au tableau un trafic intense de toutes sortes de véhicules pétaradants, les routes en piteux état, pas mal de déchets épars, et nous obtenons une vision très authentique du quotidien mexicain, pas très glamour mais réaliste. On est loin des marinas au décor soigné et impeccablement entretenues... Comme d'habitude, je ne fais pas de photos de ces quartiers défavorisés ; je trouve désobligeant de montrer ce que les gens du pays préfèreraient cacher, puisqu'ils se sont donné le mal de créer une vitrine pour les privilégiés que nous sommes.
Vendredi nous passons plus de temps en promenade dans la petite ville de La Cruz, ce qui confirme notre impression d'une société à deux vitesses. Il y a clairement les restaurants pour les touristes et les fondas pour les locaux ; les rues sont arborées et parfois décorées, mais il suffit de s'écarter d'un pâté de maisons pour trouver des habitations moins reluisantes où il ne doit pas faire bon vivre à cause de l’égout tout proche qui empeste. Le quartier est en train de se préparer pour le festival du week-end ; on installe des estrades et des barnums autour d'une petite place qui a visiblement été décorée et repeinte tout exprès. Nous prenons un verre à une terrasse, non loin d'une auberge qui fait le plein de touristes américains ; il y a même deux cavaliers qui font parader leurs chevaux dans la rue, devant les tables des clients.
Un autre visage du Mexique : les annonces concernant les disparitions inquiétantes. Très nombreuses !
En début de soirée nous allons dîner avec nos amis Finlandais, ce sera notre dernière soirée ensemble puisque nos routes divergent à partir de cette escale. Nous choisissons un restaurant local, où les touristes doivent être rares. Dans un petit patio, sur des toiles cirées ordinaires, on nous sert une cuisine toute simple, des plats familiaux auxquels nous faisons honneur. Le prix défie toute concurrence, 80 Pesos chacun, soit 5 € environ. Il est vrai que nous avons dû acheter nos boissons à la boutique d'à côté et que nous n'avons pas pris de dessert, mais tout de même c'est bien différent des restaurants pour touristes qui pratiquent des prix presque européens, que les Américains considèrent très bon marché. Nous disons au-revoir à Anna et Joakim, un peu émus, c'était vraiment un plaisir de faire leur connaissance. Nous espérons les revoir l'année prochaine, lorsqu'ils redescendront d'Alaska vers la Colombie Britannique, nos chemins devraient se croiser à nouveau.
Nous prenons le départ samedi matin, pas de vent, pas de mer, la traversée vers Cabo San Lucas s'annonce calme, au moteur. C'est même tellement tranquille que dimanche nous commençons un chantier de bricolage : rénover les rames de l'annexe. Elles ont souffert ces derniers temps. Les pales en plastique se sont désagrégées, elles devaient atteindre la durée de vie maximum du matériau plastique trop souvent soumis aux UV. Le contreplaqué que nous avons sous la main étant trop mince, Éric découpe les morceaux en double et nous les collons deux par deux pour doubler l'épaisseur. Chantier dans le cockpit... Je m'attaque ensuite aux manches des rames, qui ont perdu leur protection et qu'il faut poncer avant de les revernir. Chantier sur la plage arrière où je fais beaucoup de poussière... Et puis, même si la mer est calme, ça bouge quand même plus qu'au mouillage. Les rames sont pendues au plafond du cockpit et je vernis en équilibriste !
À part ça, pas grand-chose... Un thon magnifique (sans doute un albacore) se laisse pêcher, ce qui fait la joie de mon homme. Il y a de quoi se régaler de nombreuses fois, je m'efforce de varier les recettes : poisson cru à la Tahitienne, tataki, sauté à la tomate, frit aux oignons et vin blanc... Heureusement le compartiment freezer du frigo est assez froid pour congeler quelques portions, ça va permettre d'espacer les réjouissances !
Lundi après-midi nous arrivons à Cabo San Lucas. C'est une baie assez bien protégée du large par un cap rocheux, nous devrions y être abrités du roulis. C'est aussi une station balnéaire importante, plus que tout ce que nous avons vu jusqu'à présent sur la côte mexicaine. Les hôtels sont à touche-touche le long de la plage, on n'en voit pas le bout... Jetskis, bateaux à moteur, tous engins de loisirs nautiques motorisés ou non, plus un gros paquebot en escale, ça fait de l'animation ! Nous n'en croyons pas nos oreilles en cherchant notre place pour mouiller, c'est une bagarre de décibels entre les animations diverses. Bon... C'est loin d'être notre tasse de thé, mais il faut bien faire le ravitaillement en diesel si l'étape suivante se passe encore au moteur.
Malheureusement, avec le retour de la connexion internet, Éric découvre que la météo ne prévoit pas de fenêtre favorable à un départ avant une semaine, peut-être davantage. Voilà qui ne me réjouit pas trop. Quitte à être coincés quelque part, j'aurais préféré un endroit moins fréquenté. Bah, on va faire avec, sans se lamenter. J'ai justement des vernis à faire, et Éric trouve toujours des bricolages à la traîne. S'ennuyer à bord, impossible. Navigation en stand-by, le prochain article se fera peut-être attendre un peu.